Un réveil très tardif

Le monde médical et surtout gérontologique est secoué depuis quelques semaines par le scandale des EHPAD gérées par le groupe Orpea.

Un journaliste a mis le pied dans la fourmilière de l’hébergement des personnes âgées au sein de structures privées.

L’étincelle allumée à l’issue de la publication du livre concernant la maltraitance au sein des EHPAD a été à l’origine d’un incendie dont les flammes sont observées dans toutes les régions françaises.

Ainsi de nombreux témoignages mettent en lumière les affres de la rationalisation des soins.

Tout aussi intéressant est l’annonce de la future diffusion d’un reportage commandité par Elise Lucet (la reine du discours direct) sur cette situation qui concerne la gestion critiquable de plusieurs structures privées.

Nous pouvons prendre en compte de l’importance de cette diffusion médiatique (juste ou non): la « machine » de la maltraitance en EHPAD est lancée, et rien ne va pouvoir l’arrêter.

Des dérives connues de longue date

Au delà de ces faits qui ont été relayés par différents médias, nous ne pouvons qu’être étonnés par les réactions de certains citoyens:

  • Les politiques tout d’abord. Le Dr Delaunay qui était ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie, et qui s’est exprimée sur le site du Quotidien. Elle était scandalisée par les différents assertions du livre « les Fossoyeurs », et surtout des dérives dans la gestion de certains EHPAD. Or étant au cœur de ce dispositif durant plusieurs années, comment se fait-il qu’elle ne soit pas intervenu durant sa fonction ministérielle?
  • Les parents de patients hébergés au sein de structures publiques ou privées parlent et dénoncent des situations de maltraitance. Or le plus souvent ces témoignages concernent des faits anciens. Comment ces familles ne se sont-elles pas manifestées plus précocement pour dénoncer ces dérives?
  • Les personnels qui travaillent au sein de ces établissements ont pour certains critiqué la position de certaines directions sur différents médias, mais personne n’a tenu compte de l’importance de cette maltraitance, et leurs propos ont été très rapidement oubliés ou jugés inopportuns
  • Les fonctionnaires en charge du contrôle des EHPAD n’ont visiblement pas pris conscience de la réalité de telles problématiques. Il semblerait qu’ils effectuaient des visites en ayant prévenu quelques mois à l’avance de leur arrivé eu sein des établissements. N’aurait-il pas été plus judicieux pour ces inspecteurs d’intervenir de manière inopinée? N’ont-ils pas sur la conscience ce manque de discernement alors qu’ils sont les garants du bon fonctionnement des EHPAD?
  • Les médecins (et j’en suis un), qui connaissent le poids du personnel administratif au sein des EHPAD, sont tout à fait conscients de certaines dérives qu’ils ont des difficultés à dénoncer car leurs paroles n’ont plus la même répercussion qu’il y a 30 ans de cela.  Il est certain que le plus souvent le médecin ferme les yeux sur des pratiques critiquables mais n’étant pas considérées comme de la maltraitance (cela peut être le coucher le soir à 18 heures pour que le personnel puisse terminer le travail vers 20 heures). Lors de mon internat (il y a plus de 25 ans) j’ai connu, au sein d »établissements publics, des réactions de certains professionnels de santé qui vivaient mal le fait de travailler avec des personnes âgées. Ces soignants parfois maltraitants appartenaient au monde hospitalier. Du fait d’une faute dans un service « plus attractif » ils étaient mis dans ce pénitencier qu’ils abhorraient

Une réforme difficile

La gestion de ces établissements  par des structures privées n’est pas une gestion humaniste, elle est avant tout lucrative.

Cela peut se comprendre, cela d’autant plus que certains établissements publics fonctionnement fréquemment de la même manière en rationalisant les soins comme dans  le privé.

Cependant, il est tout à fait inconcevable que certains établissements facturent des prestations de plus de 6000 euros à certains résidents, cela sans avoir une réelle qualité de prestation.

J’espère que ce réveil très tardif, des politiques (nous ne devons pas oublier que nous sommes en période électorale), des familles, et des médias, permettra de mieux aborder ce sujet qui doit être une préoccupation de tous les citoyens.

Je souhaite que ce scandale médiatique va aussi mettre à plat les difficultés rencontrées par les médecins généralistes pour assurer le maintien à domicile de personnes dépendantes, car les EHPAD ne concerne qu’une frange de la population (la plus riche ou la plus pauvre). Or les personnes âgées appartenant aux classes moyennes ne peuvent pas d’offrir les prestations dispensées au sein de ces structures et doivent se résoudre à rester chez elles.

 

Dr Pierre Frances