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Le vœu d’une société plus solidaire pour 2024….

La semaine dernière une patiente de 75 ans vient me consulter la mort dans l’âme avec de grandes réticences à passer la porte de mon bureau.

Je connais très peu cette personne qui n’est pas un des piliers de la salle d’attente.

A son arrivée je lui demande les raisons qui l’amènent à demander mon expertise.

Elle m’explique alors, avec une grande détresse dans sa voix, qu’elle a des problèmes de dyspepsie avec des douleurs abdominales depuis plus de 2 mois.

Elle a essayé en diversifiant, et en réduisant son alimentation, de trouver une solution à sa problématique de santé.

Malheureusement les efforts fournis n’ont pas permis une résolution de son embarras digestif.

Découragée par cette situation elle souhaite que nous trouvions rapidement une solution.

Nous avons dans un premier temps interrogé cette personne, qui a attendu plus de 2 mois avant de nous consulter, afin de savoir le pourquoi d’une consultation aussi tardive.

En fait cette dernière nous a expliqué qu’elle avait des problèmes de trésorerie, et qu’en cas de réalisation de bilans paracliniques il ne lui serait pas possible de payer les frais engendrés par ces examens.

En fait cette patiente n’a plus, pour des raisons budgétaires, de mutuelle.

Ses enfants font la sourde oreille dès lors qu’elle leur confie ses tracas financiers.

Ils expliquent qu’ils ont des investissements qui nécessitent également un apport de trésorerie.

Cet exemple nous montre que certaines personnes sont isolées tant sur un plan matériel qu’affectif.

Une société très individualiste

Mais que dire du comportement de nos concitoyens ?

En fait, au travers de cet exemple, nous voyons très souvent des comportements parfois très inadaptés.

De nombreux exemples peuvent nous montrer que nous vivons dans une société très individualiste.

Ainsi à l’école certains parents refusent toute sanction (punition du fait d’un mauvais comportement, ou proposition de redoublement du fait d’une acquisition de certains fondamentaux mauvaise) de la part des professeurs des écoles est très mal perçue.

De nombreuses familles imaginent ou veulent croire que leurs enfants sont des génies, et refusent toute critique.

Ils vivent dans la toute puissance, et s’imaginent être des personnes au dessus du lot.

Dans les villes, et même dans les campagnes, nous voyons un grand détachement des voisins qui se terrent et ne veulent pas avoir de relations avec les proches riverains, car tout rapprochement pourrait conduire à des demandes qui auraient comme conséquence de « perturber leur quotidien ».

Certains commerces (notamment dans la restauration rapide) utilisent des bornes pour commander, et évitent de cette manière tout contact avec le public.

De cette façon on n’a plus d’hésitations ou de propos parfois amusant avec la caissière.

Ainsi l’enseigne gagne plus de temps (et le temps c’est de l’argent), et le salarié ne gaspille pas sa salive en palabres parfois inutiles.

Un autre écueil perturbe grandement les relations avec les autres : les réseaux sociaux.

Ils deviennent incontournables auprès des jeunes générations qui de cette manière veulent partager leurs émotions ou les détails de leur vie quotidienne.

Des gratifications (les « like » avec un pouce relevé) permettent à ces adolescents ou jeunes adultes de voir qu’ils sont suivis par des amis qui les accompagnent dans leur quête de partage.

Cependant on oublie que ces outils ne sont pas aussi attractifs que nous pourrions le penser, cela à plusieurs titres :

  • Les amis rencontrés sont souvent virtuels (pas nécessairement volontaires pour une rencontre), et cherchent également à se montrer de cette manière
  • Il est possible également d’utiliser à mauvais escient ces réseaux pour critiquer ou humilier certains participants. Souvent les harcèlements scolaires débutent ou sont alimentés de cette façon

Et les médecins dans tout cela

Ils deviennent les confesseurs des patients qui ne trouvent plus d’écoute auprès des prêtres du fait de leur raréfaction, mais aussi d’une idéologie qui ne correspond pas à la leur.

De plus on se rend compte que les psychologues ne sont que rarement contactés par les patients qui nécessiteraient cette aide, cela pour des raisons budgétaires : ces professionnels ne sont pas conventionnés ou très peu par les organismes sociaux.

Par voie de conséquences, le médecin généraliste est l’interlocuteur de choix qui permet de partager la détresse ou donne parfois des solutions à des problématiques familiales.

Cet investissement est fréquemment la pierre angulaire du travail du praticien des zones rurales.

Ce professionnel de santé est plus un parent (il connaît plusieurs générations, et il est au courant des problèmes familiaux) qu’un professionnel de santé.

Ce soignant est aussi un lanceur d’alertes en cas de problèmes récurrents qu’ils abordent dans leur cabinet : cas du mal être au sein des entreprises à l’origine d’une majoration des arrêts de travail.

Malheureusement l’aide psychologique des patients par les médecins généralistes est souvent peu développée, ou souvent bâclée pour deux raisons essentielles :

  • La pénurie de généraliste qui impose un rythme de consultation accéléré. Peu de temps est consacré à ce type de problématiques
  • Le fait que la revalorisation des actes effectués au sein des cabinets n’est pas suffisante pour assurer un suivi psychologique pour un nombre important de patients

Néanmoins, même si les arguments énoncés précédemment freinent la prise en charge du patient isolé, et demandent une écoute parfois prolongée, il est important de souligner que de nombreux généralistes restent présents auprès de ces patients.

Fréquemment cette prise en charge est effectuée sans qu’un argument financier soit pris en compte, car les généralistes sont pour la plupart des humanistes.

Cependant nous ne devons pas perdre de vue que ces professionnels de santé sont des femmes et des hommes qui ont une vie privée.

Leur investissement est source de conflits au sein de leur cellule familiale, et conduit fréquemment à des divorces ou des dépressions.

Dr Pierre Frances

2 Commentaires

  1. Merci cher Confrère pour ce juste tableau clinique de la société contemporaine. Mais je mets toutefois un bémol lorsque vous dites que la plupart des généralistes sont des humanistes. Ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui et beaucoup de nos juniors l’assument. Sur Paris, je m’aperçois que la moitié des IMG sont inscrits dans des DU de médecine esthétique ou autres, car ils ne veulent pas faire médecins généralistes traitants. La plupart des juniors sont salariés de plate-formes de teleconsultations ou de centres de médecine esthétique. Même la société française de dermatologie ne veut plus que la dermatologie soit en accès direct et leurs représentants universitaires proposent de upgrader les généralistes pour qu’ils assument la surveillance des naevus, histoire sans doute de se consacrer encore plus aux actes esthétiques. Pourquoi pas ! Mais dans ce cas, il faut que les généralistes dermatologues puissent facturer HN ce type de mission de prévention. Je vous souhaite cher Confrère une très bonne année 2024, pleine de santé, de succès et de bonheur. Dr Bellecour, président du Syndicat des médecins esthétiques libéraux du SML.

    • Oui,mais j’espère qu’ils ne sont pas tous comme cela….
      Il est vrai que les internes que je reçois n’ont pas la fibre des collègues de Paris et j’en suis fier.

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