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Le discours d’un président

Contrairement au roi George VI qui était régulièrement attendu au tournant lors de ses discours du fait d’un problème d’élocution, M. Macron lors de son déplacement vers le centre hospitalier de Corbeil Essonne s’est exprimé de manière très claire et ferme en ce qui concerne son plan pour améliorer la situation des hôpitaux et des professionnels de santé.

Ainsi, il a pu expliquer, suite à l’exaspération nourrie depuis quelques semaines des soignants, son plan d’action pour donner une nouvelle vie à un système de santé jugé moribond.

Pour ce faire différentes annonces ont été effectuées, annonces qui concernent principalement le monde hospitalier.

Il est vrai qu’il a préféré effectuer un déplacement vers un centre hospitalier plutôt que vers un centre médical libéral, probablement du fait d’une contestation plus importante au sein de ce type d’établissement.

Ainsi il a expliqué avec une certaine droiture qu’il était urgent de remettre en question les 35 heures dans les établissements hospitaliers, et rendre plus attractives les rémunérations pour garder en place le personnel.

En parallèle il a fustigé les conséquences de la tarification actuelle (T2A) qu’il veut rapidement réformer (quand et comment ?), et il donne également l’opportunité aux soignants de participer à la gestion des établissements qui est trop concentrée sur les personnels administratifs (on a déjà soulevé cette question il y a quelques années lors du quinquennat Macron 1, cela sans réelle prise en compte).

Et les médecins libéraux

Conscient également de la fronde des médecins libéraux qui négocient actuellement la nouvelle convention, il a souhaité donner quelques solutions pour éviter de majorer la colère de ces professionnels.

Ainsi il accepte volontiers l’idée d’une revalorisation de l’acte (il soulève uniquement la question, mais ne valide pas ce principe).

Cependant cette éventuelle majoration est subordonnée à certaines contraintes :

  • La participation des médecins à la permanence des soins
  • Une plus grande volonté de prendre en charge les patients en ALD, patients ayant des pathologies chroniques. Cette prise en compte a pour but que la grande partie de la population française puisse être soignée de manière correcte
  • L’adhésion de certains médecins en ce qui concerne la politique de recrutement des assistants médicaux. Le président, tout comme d’ailleurs le directeur de la CNAM et le ministre de la santé, souhaitent que les libéraux signent massivement des contrats avec ces professionnels
  • La nécessité pour les professionnels de santé de déléguer certaines tâches à d’autres intervenants (infirmières notamment) grâce notamment à l’adhésion des médecins à des CPTS de proximité

Cette sollicitude feinte est un moyen, nous pouvons aisément le comprendre, de permettre une plus grande participation des médecins dans la prise en charge de la totalité des patients qui pour certains sont laissés sans aucune solution de repli pour être traités.

Ces annonces très dogmatiques me laissent personnellement perplexe pour plusieurs raisons :

  • Le fait que le montant de la revalorisation n’a pas été clairement donné. Il est vrai qu’il va se discuter avec les représentants de la CNAM. Cependant on note une grande réticence à lâcher du lest sur ce plan. D’ailleurs les journalistes, même si certains montrent que la rémunération des généralistes est faible par rapport aux confrères européens, mettent en avant que les généralistes ont un niveau de vie qui peut faire pâlir certains ouvriers. On oublie le plus souvent qu’un médecin fait 9 à 14 ans d’études, et qu’il semble tout à fait justifié de le rémunérer à sa juste valeur.  Cela est d’autant plus vrai que le médecin lorsqu’il pratique son art peut effectuer des erreurs qui sont difficiles à digérer tant sur le plan judiciaire que moral
  • Macron, alors que l’ensemble des politiques et journalistes le soulignent, n’est pas prêt de réduire le mammouth administratif. Après tout, en ayant l’opportunité de recruter des assistants médicaux ces contraintes seront à la charge de ce secrétariat. Alors que le poids des différentes tâches administratives augmente de manière démesurée, il n’a jamais été question de supprimer certaines d’entre elles. Il y a quelques jours de cela j’ai été informé que pour les nourrissons ayant des problèmes neurologiques, afin d’obtenir par l’unité neuropédatrique un rendez-vous, je serai contraint de me connecter sur le site via trajectoire (c’est déjà une usine à gaz utilisée pour envoyer les patients vers une maison de retraite du département), et remplir les documents demandés (il s’agit d’échelles) pour avoir une chance d’obtenir un rendez-vous rapide. Une des secrétaires de cette structure m’a expliqué que ce nouveau mode de fonctionnement est à l’initiative de l’ARS, et que de nombreux généralistes ne sauront pas remplir les échelles.
  • Notre président est aveuglé par ses colistiers (ceux notamment qui lui écrivent son discours) qui oublient de lui dire qu’il est important de se déplacer dans un cabinet médical d’un médecin libéral pour mieux les comprendre. En effet il est nécessaire de souligner que la moyenne hebdomadaire de travail d’un médecin généraliste est de 50 heures. Or si vous rajoutez encore des heures supplémentaires en permanence des soins vous aurez plus de 70 heures par semaine, ce qui est indécent par rapport aux fonctionnaires et salariés qui profitent du temps libre pour les loisirs. Autrement dit le médecin généraliste doit se sacrifier pour prendre soins de ses concitoyens. De plus il est tout à fait déplacé de parler de désinvestissement vis-à-vis de la permanence des soins car certains professionnels (et ils sont nombreux car la couverture concernant la permanence des soins est actuellement optimale) continuent à assurer dans cette charge, et acceptent plus facilement de ne pas voir grandir leurs enfants
  • La délégation des tâches est un autre sujet de crispation des libéraux qui ne comprennent pas comment d’autres professionnels comme des infirmières ayant fait 5 ans d’études (je ne parle que des infirmières en pratique avancée) puisse avoir le droit de prescrire et de suivre des patients, cela alors que la pratique médicale est complexe est parfois sujette à des erreurs. De plus je reste scotché d’apprendre que la rémunération de ces nouveaux intervenants est très attractive (30€).
  • En ce qui concerne le comportement des patients qui n’honorent pas leurs rendez-vous le président est très peiné (ou fait croire qu’il l’est), mais il propose uniquement une discussion avec l’assurance maladie pour les responsabiliser. Ce comportement est un moyen de noyer le poisson, et d’oublier que les français sont trop assistés pour certains et peu reconnaissants. M. Macron est avant tout un politique et il ne perd pas de vue que ces personnes sont des électeurs potentiels qu’il est important de satisfaire.

Pour conclure, le discours de notre roi (je m’excuse d’un président) peut satisfaire le peuple, mais en y regardant de plus près il met à genou la médecine libérale qui est une nouvelle fois méprisée et peu écoutée.

Jamais M. Macron n’a évoqué les problèmes de dépression et de suicide des libéraux qui sont des êtres humains comme tous les français, et qui ont le droit d’être mieux considérés.

Tout aussi inconvenant dans le discours du président est l’absence de prise en compte du malaise des biologistes.

Ces derniers vont être financièrement acculés face à une réduction de la valeur de certains actes. Ils manifestent régulièrement, et l’exécutif refuse toute négociation ou explique qu’ils ont mangé du pain blanc durant la période du COVID.

On peut tout à fait comprendre que la France vit sous perfusion avec une dette colossale qui ne cesse d’augmenter, mais je ne comprends pas comment l’exécutif ne se donne pas la peine de parlementer avec la base.

Dr Pierre Frances

2 Commentaires

  1. Comme d’habitude tu dis des vérités. Mais comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas sur que nos jeunes confrères travaillent 50 h par semaine comme toi. Ici on voit plutôt des semaines de 3 à 4 journées maximum. Ils ont peut être raison et je ne critique pas (ou pas trop !).
    J’en profite pour te souhaiter ainsi qu’à tous les confrères une bonne et heureuse année.
    Benoît

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