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L’AME revisitée……

Le Quotidien du Médecin a relayé, il y a quelques jours de cela les propos de confrères, associations humanitaires, ou syndicats médicaux, concernant la suppression éventuelle de l’AME, et les conséquences pouvant être induites par ce changement.

Certains collègues n’ont pas hésité à lancer une pétition pour s’opposer à cette nouvelle donne, et montrer leur détermination en ce qui concerne le respect du serment d’Hippocrate.

En parallèle certaines associations ont décidé de porter plainte contre les sénateurs médecins qui ont voté en faveur d’une réforme de l’AME.

Pour ces structures il est incompréhensible que des professionnels de santé ne se mobilisent pas pour défendre le soin inconditionnel.

En fait ces différents soignants ou associations expliquent qu’une réforme concernant  cette couverture pour les patients en situation irrégulière est une forme de discrimination au soin, et aura probablement un impact sur la santé de nos concitoyens (développement de certaines pathologies infectieuses comme la tuberculose par exemple…) en ce qui concerne la santé publique.

Bref tout cela pour dire qu’une importante mobilisation des acteurs de santé, mais aussi politique, a été effective dès lors qu’une proposition de réforme concernant l’AME a été proposée.

Connaître le terrain est un préalable avant toute réaction épidermique

Que dire de ces contestations qui sont parfois très humanistes, mais cachent parfois certains enjeux électoralistes ou ont pour but dans certains cas de se faire briller ?

Tout d’abord je suis quelque peu sidéré de voir que certains collègues parlent sans connaître les réalités du terrain.

En premier lieu il faut savoir qu’au sein des établissements hospitaliers il existe un service appelé la PASS (permanence d’accès aux soins de santé) qui permet aux patients qui présentent un problème de santé urgent, cela sans avoir de couverture sociale, d’être pris en charge.

Cette structure est indépendante des urgences, et n’a pas vocation de surcharger ces unités déjà très sollicitées.

Au sein de ce service nous retrouvons des généralistes, des internistes, et autres spécialités qui œuvrent pour donner le soin le mieux adapté au patient.

Outre leur rôle pour prendre en charge ces personnes nécessitant du soin, ces entités ont également un rôle dans le dépistage des maladies infectieuses avec le CLAT (comité de lutte antituberculeuse), le SMIT pour les vaccinations…

Autrement dit  les autorités de santé ont permis la création d’une structure très performante en terme de soins et de prévention.

Contrairement aux propos des contestataires  d’une réforme concernant l’AME, je pense que ce dispositif, très performant dans mon département, permet d’avoir une qualité de soins que nous ne devons pas renier.

En parallèle, certaines réalités ne sont pas nécessairement bonnes à dire en ce qui concerne l’AME, mais aussi vis-à-vis du comportement de certaines associations ou collègues :

  • Nombreux sont les confrères qui refusent les patients en AME. Ce choix n’est pas en rapport avec leurs convictions politiques, mais découle du fait que ces hommes ou femmes en situation irrégulière ont un titre (carte plastifiée) qui nécessite de la part du médecin la rédaction d’une feuille de soins, et un remboursement parfois illusoire ou tardif (plus de 3 mois). Il s’agit d’une discrimination aux soins dont la Sécurité Sociale n’est pas coupable car elle n’est que prestataire de ce type de soins imposé par les pouvoirs publics
  • Dire que le dépistage et la prévention de ces populations en situation irrégulière est effectuée par les libéraux est pas nécessairement vrai. Chaque professionnel a ses propres convictions en ce qui concerne ce type de soins, certains (cela a pu se voir lors de la campagne de vaccination pour la COVID) étant peu enclins à faire du dépistage ou de la prévention du fait d’un surcroît de travail
  • Certaines associations humanitaires travaillent en vase clos, et ne savent pas communiquer avec des instances ou représentations étatiques qui peuvent parfois être utiles, et peuvent les aider dans le soin. De ce fait des redondances en ce qui concerne les prises en charge et la prescription d’examens complémentaires sont souvent observées
  • Les catastrophes sanitaires internationales sont un tremplin pour la mobilisation de confrères, souvent en grand nombre, cela alors que certains ne voient pas la misère autour d’eux ou refusent de la regarder. Il est vrai qu’il est parfois pas très attractif de se rendre dans un squat pour aller s’inquiéter de la santé des patients qui vivent en marge de la société. Je vis cela depuis plus de 25 ans avec des collègues qui me soutiennent sans se déplacer lors de mes actions au sein d’associations pour sans abri. Le plus « amusant », c’est de voir que ces mêmes personnes très « humanistes » me renvoient l’image du médecin soignant les clodos (terme que je juge très péjoratif)

Les droits à la santé ne concernent pas seulement les patients en situation irrégulière

La volonté d’une réforme de l’AME est avant tout d’ordre budgétaire car cette aide a un coût ; plus d’un milliard d’euros.

Bien entendu nous pouvons rétorquer que la santé n’a pas de prix.

Cependant, il est important de regarder la réalité en face.

Très fréquemment nous recevons des patients retraités ou ayant des petits salaires qui n’arrivent plus à se payer une complémentaire santé.

De ce fait ils ne consultent plus ou très tardivement.

Et là nous assistons à une discrimination aux soins vis-à-vis d’une population qui mérite grandement d’être prise en charge.

Or cette catégorie de patients est silencieuse, et en acceptant de ne pas les soigner nous sommes tout aussi coupables.

Par ailleurs très régulièrement les médias mettent en lumière la triste réalité concernant la pénurie de certains médicaments, ce qui peut à court ou moyen terme majorer la morbi-mortalité des certains patients.

Cette pénurie est voulue car elle est en rapport avec le souhait de nos politiques de ne pas augmenter le prix des médicaments, ce qui majorerait d’autant plus le déficit de nos organismes sociaux.

Je refuse avant tout d’être un humaniste de salon, je veux que nous ayons une vision  plus  globale et efficace de notre système de santé qui est en danger du fait d’un déficit financier abyssal.

Dr Pierre Frances

2 Commentaires

  1. Tout à fait d’accord avec toi. Mais c’est vrai que les remboursements sont très aléatoires. Personnellement je m’en fichais un peu, et faire des actes gratuits ne me gênait pas. Il fut un temps où on ne faisait pas payer les confrères ! Je viens de me faire opérer de la cataracte et DE de l, ophtalmologue, de l’anesthésiste et du chirurgien…
    Les temps changent….

  2. Merci de rappeler qu’il existe un Quart-Monde, notamment des retraités pauvres qui renoncent aux soins parce qu’ils ne peuvent pas se payer de mutuelle (dont le prix ne cesse d’augmenter chaque année). L’économiste Frédéric Bizard à d’ailleurs dénonce depuis longtemps les abus des mutuelles (voir son blog et ses livres). Et vous faites bien de rappeler que l’Etat n’a pas de vision globale du système de santé et que la penurie de médicaments est entretenue par un prix d’achat inférieur à celui du marché. Certes l’accès aux soins avec la suppression de l’AME est un problème éthique. Mais on ne peut plus accepter que des retraités pauvres aient moins de droits que des étrangers clandestins et je pourrais donner plusieurs exemples auxquels j’ai récemment été confronté mais ce serait trop long de partager ces témoignages sur ce blog. Je voulais juste rappeler ici que l’éthique médicale est la réflexion sur l’ordre des valeurs. Dr Bellecour

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