Malgré certains désappointements de critiques cinématographiques (ils sont cependant peu nombreux), je souhaite par ce témoignage expliquer les raisons de mon engouement pour le film « Vivre, mourir, renaître ».
Les années 80/90 ont été marqué par la déferlante d’un virus qui a été très meurtrier : le VIH.
Comme une trainée de poudre de nombreuses communautés ont été sévèrement touchées par ce fléau pour lequel les infectiologues ont été au départ démunis, et ont eu l’honnêteté de dire qu’ils étaient impuissants pour le combattre.
Tout aussi triste a été le comportement de certains politiques, mais également certains confrères, qui dans un but de protection ont refusé de prendre en charge ces patients qui pouvaient être contaminants.
Cependant il fallait ne pas perdre de vue que la plupart étaient fauchés à la fleur de l’âge (moins de 30 ans), et nous devions en tant que professionnels de santé être à leur côté pour affronter cette situation.
Ce qui est très intéressant dans ce film, c’est dans un premier temps de voir la valse des sentiments très forts qui se télescopent, et nous montrent que le cours de la vie est parfois très complexe.
De plus il n’est parfois pas évident de prendre position de manière formelle vis-à-vis d’une situation parfois difficile à accepter du fait de la faute d’un partenaire très désinvolte mais pour lequel nous pouvons avoir une passion dévorante.
Cependant Vivre, mourir, renaître nous permet d’être un peu au-dessus de la mêlée, et prendre de la distance vis-à-vis de situations auxquelles nous ne sommes pas directement confrontés.
Nous en arrivons, et c’est mon cas, à pardonner à la personne qui est fautive, et qui est responsable du désastre humain engendré par son comportement suicidaire.
Parallèlement à cette réflexion, ce film a l’avantage également de montrer l’évolution dans la prise en charge et le traitement du VIH au fil du temps.
Alors qu’une grande majorité de personnes contaminées décèdent très rapidement, certains arrivent à vivre et bénéficient des progrès de la science pour par la suite « survivre ».
Nous esquissons certaines perspectives induites par le recours à la trithérapie qui a révolutionné le monde du VIH ; perspectives parfois très positives :
- On apprend qu’il est possible de vivre normalement au décours de cette expérience (renaître comme le propose le réalisateur)
- On est heureux de voir qu’on a pu avec brio défier la mort
Néanmoins comment accepter d’être stabilisé en ce qui concerne cette virose alors que l’on a laissé sur la route des proches qui n’ont pas eu la chance que nous avons eu ?
Pouvons nous être satisfaits d’une prise en charge qui repose sur la prise d’un traitement durant toute notre vie, traitement qui a de multiples effets secondaires ?
Ces différentes réflexions sont celles que j’ai pu avoir au décours de cette projection.
Vision du VIH au travers de sa propre expérience
Au-delà de cette histoire, très bouleversante il faut le dire, j’ai pu avoir un regard introspectif sur la prise en charge du VIH dans les années 90.
A cette époque j’étais un jeune étudiant en médecine, et je me rappelle avoir pris en charge toute une aile de patients atteints de cette pathologie honteuse.
J’étais à cette époque externe en 6ème année de médecine, j’effectuais mon dernier stage d’externe, et je revendiquais haut et fort que je souhaitais devenir généraliste (j’en étais fier et je le reste).
Rares étaient les étudiants qui voulaient « se frotter » (terme sciemment choisi) à cette population que de nombreux concitoyens considéraient comme déviante.
Ce comportement concernait même les hautes sphères médicales qui ne souhaitaient pas approcher ces patients.
Ayant toujours eu à l’idée que le médecin est un professionnel de santé, comme le militaire, qui doit se sacrifier car il connaissait dès le départ les risques éventuels de sa charge, j’ai accepté d’aller vers ces patients qui étaient pour la plupart en très grande détresse psychologique.
Il est vrai que, même si je n’ai jamais évolué dans un milieu favorisé, mais j’ai toujours reçu une éducation basée sur le respect des valeurs.
L’état moral de ces personnes était d’autant plus difficile à aborder car ils savaient qu’ils étaient condamnés, et il était difficile de leur mentir.
Ce qui était le plus choquant c’est le fait que ces patients étaient en grande majorité des intellectuels, et que le discours que je pouvais avoir avec eux n’était pas celui que je pouvais avoir avec un enfant, ou des gens ayant peu de culture (je ne veux pas par mes propos être trop péjoratif).
Très régulièrement mon esprit me rappelle la prise en charge antérieure de certains patients qui m’ont marqué, et qui n’ont pas eu la chance de survivre.
J’ai gardé très précieusement mon carnet d’observations (il est parfois sommaire, ou pas très correct car j’étais en apprentissage), mais certains noms et visages restent gravés dans mon esprit.
Cette confrontation a été d’une grande utilité car elle m’a permis de me dire que le médecin doit avant tout être humble, et ne doit pas oublier qu’il est également un être humain avec ses défauts.
J’ai aimé le film Vivre, mourir, et renaître, probablement par le fait qu’il a été à l’origine d’une reviviscence d’une blessure personnelle qui ne sera jamais cicatrisée.
Et je suis heureux que le chef de service d’infectiologie, qui ne souhaitait pas examiner ces patients, m’envoie vers eux.
Nous ne devons pas oublier qu’à cette époque vouloir être un futur généraliste ce n’était pas considéré par les pontes de médecine comme une volonté de briller, et était très mal considéré.
Chapeau l artiste
merci