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Cadeaux…empoisonnés

Il y a quelques années de cela le comportement peu déontologique d’une firme pharmaceutique avait été dénoncé.

Cette dernière avait, afin de réduire quelque peu la concurrence, offert quelques cadeaux luxueux à des pharmaciens.

Ce qui a quelque peu choqué le citoyen lambda, c’était de voir qu’une ministre de l’époque avait bénéficié de ces largesses.

De nombreuses voix s’étaient élevées pour demander sa démission, ce qui était tout à fait compréhensible compte tenu du sens des valeurs que cette personne devait incarner.

Certaines personnes ne comprennent pas pourquoi des règles très strictes encadrent de telles pratiques dans le domaine médical.

En effet de nombreux artisans n’ont pas de scrupules pour aller en voyage avec des entreprises qu’ils sollicitent régulièrement pour acheter les matières premières à la base de leur activité (cas des peintres notamment).

Dans le domaine médical il est difficile d’accepter cette manière d’agir, car la base du travail des professionnels de santé ce sont les patients.

A ce titre il est impensable de profiter de largesses de laboratoires pour prescrire des molécules pas nécessairement efficaces vis-à-vis de la pathologie du patient.

Des dérives existaient par le passé, et conduisaient des médecins à participer à des voyages à l’étranger, ou recevaient des cadeaux en marge d’études pas très déontologiques.

Actuellement les pouvoirs publics ont condamné fermement ces pratiques, et les médecins peuvent recevoir les visiteurs médicaux qui doivent leur apporter une information en toute objectivité.

Quelques soirées sont encore organisées avec ces firmes, soirées rythmées par des conférences qui sont validées par des instances très intègres.

Les syndicats des internes se sont épanchés sur l’intérêt de la visite médicale auprès des futurs confrères, et ont été à l’origine d’une interdiction de toute invitation de ces derniers à des congrès ou conférences.

De cette manière ils n’avaient pas de possibilité d’être conduits à prescrire certaines molécules proposées par les firmes pharmaceutiques qui les invitaient.

On ne peut blâmer ce comportement, même si l’étudiant est le libre arbitre dans le choix des traitements pour les patients qu’il prend en charge (l’étudiant qui a fait plus de 6 ans d’études est arrivé à acquérir une certaine maturité pour avoir un jugement éclairé).

Nous devons adhérer à de tels changements très éthiques, changements appliqués également par les membres de DMG (Département de Médecine Générale).

Cependant à ma grande surprise ma dernière interne m’a interrogé sur le fait qu’elle recevait des messages sur son téléphone d’une entreprise qui vantait l’intérêt de les rencontrer pour leur future installation.

Cette dernière a été quelque peu surprise de se voir dans un regroupement WhatsApp concernant les internes, cela d’autant plus qu’elle n’avait pas véritablement donné l’aval pour adhérer à ce principe.

D’autres collègues m’ont informé que cette pratique concernait également leurs internes.

Souhaitant faire la lumière sur cette situation, que je considère personnellement pas du tout éthique(l’entreprise en question est en fait une structure qui cherche des médecins pour les collectivités moyennant un financement assez conséquent), j’ai réalisé une enquête auprès de différentes instances.

Très rapidement j’ai téléphoné au syndicat de ces internes qui m’a informé qu’il avait un partenariat avec cette entreprise à but lucratif.

Mon interlocuteur m’a même expliqué de manière directe, que même si le jugement pouvait être négatif à ce sujet, travailler avec eux permettait d’obtenir des repas et des week-end gratuits.

D’ailleurs il ne s’est pas caché du fait que cette entreprise avait eu la possibilité d’approcher les internes le jour de leur intronisation au sein de l’université moyennant probablement un certain financement.

Je reste très surpris par cette attitude que je juge peu conforme aux codes de bonne conduite en tant que professionnel de santé.

Nous comprenons facilement que certaines entreprises surfent sur une réalité quelque peu perturbante : celle d’une pénurie de praticiens.

Aussi tenant compte de cette situation elles tentent de profiter de cette aubaine pour prospérer, et souvent de manière assez florissante.

On peut comprendre dans certains cas cette pratique, mais d’une certaine manière avec un accord des instances étatiques comme l’ARS.

Dans ce cas de figure ces structures pourraient avoir comme fonction d’aider les collectivités à trouver des médecins.

Cependant nous devons nous rendre à l’évidence les tarifs pratiqués par ces « surfeurs de la vague » restent prohibitifs, et ne sont pas conformes à des pratiques « humanistes ».

Seules les communes ayant un budget conséquent peuvent s’offrir les services de ces « chasseurs de têtes ».

En fait, par le biais de cette tribune, je souhaite également m’exprimer sur la situation que nous vivons en tant que médecins généralistes.

Dans notre secteur nous devons faire face à une pénurie de professionnels de santé.

Cet état de fait a conduit à nous (4 généralistes) organiser pour essayer de palier à ce déficit pour nous partager notre activité professionnelle avec des collectivités n’ayant plus de médecins.

Par voie de conséquence notre temps de travail se démultiplie, et nous arrivons à être sur le terrain plus de 80 heures par semaines.

Au-delà de cet investissement, il y a une semaine de cela j’ai vécu des situations qui m’ont bouleversées.

Parmi les patients du cabinet éphémère que nous avons créé avec le concours de la CPTS, j’ai reçu 3 patients présentant de réels soucis de santé (ils nécessitaient une prise en charge chirurgicale en urgence).

Ces personnes n’avaient pas eu la possibilité de trouver un praticien disponible pour les recevoir depuis 6 mois, ce qui était à l’origine d’un désarroi, mais surtout d’un retard diagnostic concernant leur pathologie.

Ces patients m’ont ému car je me suis dit qu’il est possible, qu’en étant de l’autre côté de la barrière dans quelques années, d’être confronté à la même situation.

Je suis fier d’être médecin généraliste, je fais le maximum dans la mesure de mes disponibilités pour mes patients, car j’ai appris au décours de mes études les valeurs auxquelles ma fonction doit être attachée.

C’est la raison qui me pousse à dénoncer des pratiques que je juge non conformes à mes idéaux.

Dr Pierre Frances

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